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OCTAVE FEUILLET

histoire d’un dessinateur qui prépare un album de caricatures, paraît être maintenant un chemin de traverse qu’il était inutile de prendre, lorsqu’on pouvait s’engager dans le grand chemin de l’observation directe. D’ailleurs, cette partie a beaucoup vieilli. Les deux peintres, qui tombent dans une maison bourgeoise, où ils se moquent de tout le monde, ne sont que des rapins mal élevés dont l’état civil est très vague. Les tirades sur l’argent et sur l’art sentent le moisi ; et rien ne m’a paru plus drôle que la jeune fille qui cesse d’aimer Octave, parce qu’il a quitté la peinture. Toute la partie amoureuse est très faible. C’est là qu’on sent les petitesses de l’œuvre, le manque de maîtrise, comme je le disais tout à l’heure.

Il faudrait analyser chaque personnage. Les deux peintres jouent, l’un l’éternel Desgenais, L’autre l’ancien personnage de Valère qui s’avise de se grimer et de feindre pour épouser celle qu’il aime. Je ne vois aucune trace d’observation. Avec Bassecour commencent les originaux. Bassecour est fort amusant, mais on ne trouve pas chez lui le développement d’un caractère ; tout son comique réside dans son fameux « seulement » ; c’est l’homme qui entame l’éloge de tout le monde, puis qui arrive à la restriction « seulement », et qui assomme alors ses meilleurs amis. Il n’y a qu’une silhouette bien indiquée et qu’une tournure de phrase heureuse.

Quant à moi, je trouve le personnage de Dufouré, comme profondeur d’observation et finesse de peinture, bien supérieur au personnage de Péponnet. Celui-ci est une enluminure assez grossière du bourgeois ; son mérite est dans son exagération ; il vient en avant, tant son égoïsme est outré, tant il est naïvement déloyal et cupide. Dufouré, au contraire, est d’une vérité stricte ; il ne dit pas un mot de trop, il est simple et effroyable.

Pour la même raison, je préfère la scène de Dufouré, au quatrième acte, lorsqu’il arrange sa vie de veuf, avant que sa femme soit morte, à la scène beaucoup plus célèbre du contrat. Sans doute, cette dernière est d’une force caricaturale irrésistible. Le marchandage, la discussion de la dot, cette bataille cocasse des intérêts a une grande valeur de satire. Rien n’est plus lugubrement bouffon que ce cri de Péponnet, lisant le contrat :« On ne parle que de ma mort là dedans ! » et que cette réponse d’Octave : « Parbleu ! de quoi voulez-vous qu’on parle ? » Mais tout cela ne découle pas assez directement de l’étude des caractères ; on ne sent point assez la vérité par-dessous ; ce n’est qu’une fantaisie très brillante. Au contraire, quelle férocité vraie dans ce déjeuner de Dufouré, parlant, la bouche pleine, de sa pauvre femme qui se meurt ! et comme on devine qu’il a pris ses précautions contre le chagrin, et qu’il ne serait même plus fâché de voir mourir sa femme, pour vivre à sa guise ! Ici, tout est superbe, le personnage se met à nu, c’est un document précieux et complet sur l’égoïsme. On parle d’un chef-d’œuvre ; voilà où est le chef-d’œuvre, uniquement dans cette scène.

Je termine. On pousse beaucoup la Comédie-Française à reprendre les Faux Bonshommes. C’est là que je voudrais les voir. Quelle figure ferait cette farce moderne dans la maison de Molière ? Les auteurs du Vaudeville chargent terriblement les personnages. Je me demande si les acteurs de la Comédie-Française les chargeraient moins, et, dans ce cas, ce que deviendraient les types. Il faut bien dire que les Faux Bonshommes ont besoin d’être vus à la scène pour être compris. La pièce lue est d’un assez pauvre effet, parce qu’elle n’est pas écrite et que le comique y est souvent dans le jeu des artistes. Qu’on la joue donc à la Comédie-Française, l’expérience sera intéressante.



OCTAVE FEUILLET


Il y a une quinzaine d’années, il se fit beaucoup de bruit autour d’une comédie de M. Octave Feuillet : Montjoye, que jouait le Gymnase. On discutait avec passion le principal personnage, celui qui donnait son nom à la pièce, une création qu’on regardait alors comme tout à fait supérieure. Montjoye, disait-on, était l’homme fort, l’homme du siècle, le sceptique qui va droit devant lui, jusqu’à ce qu’un réveil brusque de son cœur et de sa conscience le brise et le fasse pleurer comme un enfant. Les uns se fâchaient, les autres approuvaient ; bref, c’était un grand succès.

Certes, la question avait sa gravité. Si M. Octave Feuillet avait créé un type, s’il venait de mettre debout, vivante et vraie, une création comme Tartufe ou Figaro, il passait au premier rang des auteurs dramatiques, il se haussait au génie. Notre théâtre contemporain est justement très pauvre, nous avons des auteurs de talent, mais nous n’avons pas de faiseurs d’hommes ; ils ont toutes les qualités, ils n’ont point la puissance qui crée. En ce qui concerne M. Feuillet, pour ma part, je m’étonnais beaucoup que ce fût lui qui eût planté sur nos planches la grande figure de l’homme fort.

À coup sûr, M. Feuillet est un écrivain charmant, d’un talent très fin et très souple, dont les beaux succès sont mérités. Seulement, il écrit pour un monde qui lui défend trop de puissance, et son tempérament d’ailleurs ne le dispose guère à l’analyse des réalités de ce monde. Si l’on admet que Balzac avait le génie qu’il fallait pour créer le sceptique moderne, l’homme qui avance à coups de volonté, ivre de sa force, dédaigneux des sentiments, on comprendra que M. Feuillet n’était point l’écrivain de cette besogne.

Et nous venons bien de le voir, à la reprise de Montjoye, qui a eu lieu au Vaudeville. Le bruit s’est calmé, on sourit de la querelle qu’on avait