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EDMOND GONDINET

Raoul épouse Geneviève, tout le monde est converti.

N’est-ce pas là, je le répète, le canevas d’une comédie fortement bourrée de situations ? En ajoutant des péripéties, en compliquant les faits, on arriverait à une intrigue touffue et inextricable, qu’on dénouerait à la fin du coup de baguette habituel. Ce canevas, il est vrai, manque de toute originalité ; on a vu cela cent fois à la scène ; rien n’est plus banal ni plus inutile. Mais, justement, ce serait encore une raison pour qu’on obtînt avec de pareils éléments une bonne comédie d’intrigue.

Eh bien, dans les mains de M. Gondinet, cette comédie d’intrigue a avorté. Non seulement il ne l’a pas compliquée, mais encore il l’a exposée avec tant d’insouciance, qu’il faut arriver à la fin du second acte pour comprendre. Il est évident que la fable ne lui importe pas ; il a pris la première venue, il en aurait choisi une autre, si une autre s’était présentée. Sa grosse affaire n’est pas là. Ce qu’il veut, c’est nous présenter des tableaux parisiens, des types parisiens, un coin amusant de la vie parisienne. Ainsi, au premier acte, nous avons une soirée chez Jordane, à l’heure où l’on sort de table ; au second acte, il nous mène chez le prince Orbeliani, un riche étranger, et nous fait assister à une redoute, une de ces fêtes où ne vont que les femmes galantes ; quant au troisième acte, selon la formule de l’auteur, il est réservé au drame. Ce n’est plus la pièce bien faite de Scribe et de M. Sardou ; ce sont des scènes de la vie qui défilent, à peine reliées les unes aux autres par une histoire quelconque.

Cette fois, M. Gondinet nous montre une galerie de portraits, tout un petit monde d’originaux qu’il nomme « les tapageurs ». Pour lui, le tapage, c’est cette soif de réclame qui brûle nos temps modernes, c’est cette vie jetée aux quatre vents de la publicité, cette course après la notoriété bruyante, ces réputations d’un jour fondées sur les indiscrétions et les informations des journaux. Voilà Jordane qui se compromet dans le tapage des viveurs ; son fils Raoul, élevé par lui en camarade, et qui l’imite dans le monde tapageur des filles ; le prince Orbeliani, qui vient à Paris jeter son argent par les fenêtres pour entendre le bruit qu’il fera en tombant sur le pavé ; Cardonnat, le gredin pour lequel la réclame est un moyen d’attrouper les dupes. Voilà enfin les seconds rôles : Balistrac, un ancien préfet qui a le besoin d’entendre continuellement parler de lui ; Saint-Chamas, un député battant lui-même la grosse caisse autour de ses discours ; Puyjolet, Descourtois, d’autres encore tous dévorés de l’ambition d’être quelqu’un, de jouer un rôle, de lire chaque matin leurs noms dans les échos et les chroniques des feuilles du boulevard.

Il y a là, en effet, un travers du temps qui prêtait à la comédie. Je regrette seulement que les types seuls soient vivants et que l’action ne soit pas déduite des caractères. Jordane, en somme, n’est pas un tapageur, mais un viveur. S’il se ruine, s’il risque de se déshonorer, s’il met sa femme en larmes et s’il compromet le mariage de son fils, ce n’est pas parce qu’il aime la réclame, le bruit, la notoriété ; c’est parce qu’il aime madame Cardonnat. Dés lors, l’action centrale ne répond plus à la donnée générale, et la pièce entière se déséquilibre. Il y aurait aussi beaucoup à dire sur la façon dont le fléau du tapage est présenté. Ce fléau est né évidemment de la presse à informations. De tout temps, l’homme a été vaniteux ; seulement, aujourd’hui que des outils puissants de publicité ont été créés, la vanité se traduit par ce besoin de livrer sa vie à tous, d’être continuellement en scène comme un comédien, de donner son nom chaque matin en pâture à un million de lecteurs. Donc, dans la comédie de la réclame, qui reste à faire, il faudra mettre le journalisme en avant.

Je ne regarde les Tapageurs que comme un agréable mélange de toute sorte d’éléments. Ce que je loue beaucoup chez M. Gondinet, c’est la tendance très marquée qu’il montre à s’affranchir de la vieille formule dramatique. Ses deux premiers actes sont curieux à ce point de vue. On n’y trouve plus une scène filée ; le dialogue se casse en petits morceaux ; ce ne sont que des entrées et des sorties, avec des mots jetés, des phrases dites en courant. L’action disparaît, se noie ; nous sommes dans un véritable salon, écoutant une véritable conversation parlée. Dans le Club, j’avais signalé la manière originale de M. Gondinet comme une tentative naturaliste intéressante. Aujourd’hui, il me semble que les Tapageurs affirment cette manière plus largement encore. Aussi, suis-je très heureux du succès. Il est désormais prouvé que l’action n’est pas indispensable au théâtre ; un tableau de la vie suffit pour intéresser.

Maintenant, j’aurais de bien gros reproches à faire. Comme M. Gondinet soutient surtout ses pièces par son esprit parisien, par ses mots, elles languissent un peu, dès que son esprit sommeille. Je suis pour la vérité des tableaux, pour les comédies vécues et non jouées ; mais si la meilleure langue au théâtre me paraît être la langue parlée couramment, encore faut-il que cette langue soit réduite aux phrases typiques. Dans les Tapageurs, on parle trop pour ne rien dire ; de là, une certaine fatigue, des moments d’ennui. C’est comme pour le mouvement, je trouve qu’on s’y agite beaucoup trop ; la vérité même demanderait qu’on ne gesticulât pas autant dans un salon. Le mouvement n’est pas la vie. En quelques traits plus forts, plus originaux, choisis avec plus de puissance, M. Gondinet obtiendrait, je crois, un relief plus grand ses cent petites touches, ses peintures essayées, lâchées, puis reprises, ce papillotage d’observations menues arrivent à danser devant le spectateur et à ne pas constituer un ensemble.

Enfin, je l’ai dit, mon blâme porterait particulièrement sur le manque de liaison entre l’action, le milieu et les personnages. Je comprends très bien le cas de M. Gondinet. Il a senti combien la comédie d’intrigue était usée, il a éprouvé le besoin de renouveler la formule. Dès lors, il a pris en mépris l’action, il s’est juré de ne plus donner d’importance à la fable. Tout son effort a porté sur les milieux. Son but a été de peindre des tableaux parisiens : un club, une vente de charité, une soirée, une redoute ; et il est arrivé que le public s’est intéressé à ces tableaux détachés, ce qui montre combien, d’une façon plus ou moins consciente, le public a un besoin grandissant de réalité au, théâtre. Malheureuse-