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MEILHAC ET HALÉVY

observateurs parisiens comme MM. Meilhac et Halévy.

Ainsi donc, la donnée était très originale ; j’ajoute qu’elle était très dangereuse. C’est sans doute ce que les auteurs ont compris, car ils n’ont point osé l’aborder franchement. Je veux bien croire que, s’ils l’ont réservée pour leur quatrième acte, s’ils l’ont étranglée et escamotée dans un dénouement au lieu de l’étendre dans toute une pièce, cela est simplement venu du désir qu’ils ont pu avoir de répondre aux critiques qui leur reprochent d’habitude de terminer pauvrement leurs pièces ; ils espéraient sans doute finir par un coup d’éclat. La vérité n’en est pas moins qu’ils semblent avoir reculé devant leur idée première, que les trois premiers actes paraissent une préparation bien longue au quatrième ; que la pièce, en somme, la pièce nouvelle, originale, hautement contemporaine et parisienne, était dans ce quatrième acte. Pour moi, la comédie s’achève juste au moment où elle commence. MM. Meilhac et Halévy n’ont pas plutôt abordé la situation capitale de leur œuvre, qu’ils tournent court et font disparaître leurs personnages, en les envoyant à l’étranger.

On a fait remarquer que le titre parle du mari d’une débutante, et non du mari d’une comédienne. Eh bien, j’attendrai alors la pièce qui doit suivre, la pièce originale, celle, en un mot, que nous promet le quatrième acte interrompu. MM. Meilhac et Halévy sont tenus à l’écrire.

D’ailleurs, ils ont fait preuve d’une grande habileté, en promenant les spectateurs dans trois actes d’épisodes déjà connus, avant d’aborder la grosse affaire, celle qu’ils avaient sans doute depuis longtemps en notes dans leurs tiroirs, et qu’ils n’osaient risquer. Le public, en effet, est devenu subitement sérieux et un peu froid, quand il a senti où on le menait. Cela lui semblait raide ; ce n’était plus pour rire, il devinait où les observations avaient dû être prises, il flairait la réalité derrière la fantaisie. J’ai été vivement frappé de cette gêne subite, de cette défaillance devant le document humain.

Je n’en suis pas moins convaincu que la pièce aurait eu une autre allure, si le quatrième acte était venu après le premier acte, et si la pièce s’était ensuite magistralement développée. Nous y aurions perdu les actes très amusants de la mairie et du théâtre ; mais ce sont là des actes connus, dont la perte, au point de vue littéraire, n’aurait pas été grande. En somme, ils n’apportent rien et ne laissent rien que le souvenir d’un éclat de rire, dont on ne se rappelle même plus bien la cause. On a ri, mais il serait difficile, le lendemain, de dire pourquoi.

Peut-être aurait-on sifflé le mari. Peut-être, en le présentant plus tôt dans son rôle d’administrateur, les auteurs l’auraient-ils suffisamment expliqué et imposé au public, à force de gaieté et d’adresse. En tout cas, ils auraient créé un type, ; ce qui est le suprême triomphe au théâtre.


IV


Me sera-t-il permis de chercher une légère querelle à MM. Meilhac et Halévy ? C’est au sujet du Mari de la débutante, qu’ils ont donné de nouveau au Palais-Royal, après lui avoir fait subir une transformation complète. On se souvient que, lorsque la première version fut jouée, les trois premiers actes firent un grand effet ; celui surtout qui se passe à la mairie. Puis, le quatrième acte, le dernier, faillit tout gâter. Les auteurs, sans crier gare, étaient entrés dans une peinture osée du mari d’une comédienne, se posant en administrateur du talent et de la beauté de sa femme. Cette peinture un peu crue, d’une férocité d’observation que des plaisanteries ne déguisaient pas suffisamment, glaça le public qui devint froid, presque hostile. Et j’avoue volontiers moi-même que cela détonnait à côté des autres actes, tous de pure fantaisie.

J’ai beau m'en garer, la question de la convention revient toujours sous ma plume. Voilà, certes, un exemple dont les zélateurs de la convention pourraient abuser. Ils diraient : « Vous voyez bien qu’on ne peut pas tout dire au théâtre, puisqu’il suffit que des hommes du talent et de l’habileté de MM. Meilhac et Halévy mettent un mari peu délicat, pour compromettre toute une œuvre, qui marchait vers le plus grand succès. » Sans doute ; mais il faudrait ajouter que le seul tort des auteurs était de recommencer une pièce, de manquer d’équilibre et de logique, de terminer par un coup de massue inattendu, au bout d’une simple plaisanterie agréable. On peut tout mettre au théâtre, et je ne fais que répéter ici l’opinion d’un célèbre auteur dramatique, qui à la vérité paraît avoir changé d’idée aujourd’hui ; seulement, il faut savoir tout mettre.

C’est évidemment ce dont se sont aperçus MM. Meilhac et Halévy. Ils ont retiré le dernier acte, peut-être avec la pensée d’en faire plus tard le point de départ d’une autre pièce. Puis, ils ont décidé que le Mari de la débutante resterait une simple fantaisie, sans aucune portée d’observation. Rien de plus raisonnable, en somme. Pourtant, cela m’a surpris, et c’est ici que je cherche querelle aux auteurs. Je crois qu’on ne doit jamais toucher à une œuvre qui a été jouée. Elle est bonne ou mauvaise, peu importe ; du moment où elle appartient au public, il faut la conserver avec ses qualités et ses défauts. Je doute même qu’on ait intérêt à la raccommoder, car il n’y a pas d’exemple qu’une œuvre ainsi retapée ait pris une solidité plus grande. Il vaut mille fois mieux employer à un nouvel ouvrage le temps qu’on perd à vouloir équilibrer un ouvrage qui boite de naissance.

Voyez le cas présent. Le Mari de la débutante est plus homogène peut-être ; mais le voilà sans relief, sans ce relief des défauts qui tire souvent une œuvre de sa médiocrité aimable. La pièce aujourd’hui reste une fantaisie, dont certains détails sont amusants ; seulement, elle est inférieure à d’autres fantaisies de MM. Meilhac et Halévy, ce qui la met à un second rang. On sourit, on ne se fâche plus ; cela est grave. Il est vrai que mon goût bien connu de la perversion me rend un très mauvais juge. Moi, je l’aimais beaucoup, cet ancien dernier acte, sacrifié à la première froideur du public, et je poussais les choses jusqu’à prétendre qu’il était le seul original et nouveau. Donc, quitte à ce que la pièce