Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les yeux fixés à terre, nous avancions à petits pas prudents, sans risquer une parole, de peur de faire envoler les fraises. Nous avions oublié la forêt, le silence et l’ombre, les larges allées et les sentiers étroits. Les fraises, rien que les fraises. À chaque touffe que nous rencontrions, nous nous baissions, et nos mains frémissantes se touchaient sous les herbes.

Nous fîmes ainsi plus d’une lieue, courbés, errant à droite, à gauche. Pas la plus petite fraise. Des fraisiers superbes, avec de belles feuilles d’un vert sombre. Je voyais les lèvres de Ninon se pincer et ses yeux devenir humides.


IV


Nous étions arrivés en face d’un large talus, sur lequel le soleil tombait droit, avec des chaleurs lourdes. Ninon s’approcha de ce talus, décidée à ne plus chercher ensuite. Brusquement, elle poussa un cri aigu. J’accourus, effrayé, croyant qu’elle s’était blessée. Je la trouvai accroupie ; l’émotion l’avait assise par terre, et elle me montrait du doigt une petite fraise, à peine grosse comme un pois, mûre d’un côté seulement.