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rizon. Au petit jour, une bataille décisive devait être livrée.

Un accablement m’avait pris. Pendant trois heures, j’étais resté comme écrasé, sans souffle et sans rêves. L’excès même de la fatigue venait de me réveiller. Maintenant, couché sur le dos, les yeux grands ouverts, je songeais en regardant la nuit, je songeais à cette bataille, à cette tuerie que le soleil allait éclairer. Depuis plus de six ans, au premier coup de feu de chaque combat, je disais adieu à mes chères affections, à Babet, à l’oncle Lazare. Et voilà, un mois à peine avant ma libération, qu’il me fallait leur dire adieu encore, cette fois pour toujours peut-être !

Puis mes pensées s’adoucirent. Les yeux fermés, je vis Babet et mon oncle Lazare. Comme il y avait longtemps que je ne les avais embrassés ! Je me souvenais du jour de notre séparation ; mon oncle pleurait d’être pauvre, de me laisser partir ainsi, et Babet, le soir, m’avait juré de m’attendre, de ne jamais aimer que moi. J’avais dû tout quitter, mon patron de Grenoble, mes amis de Dourgues. De loin en loin, quelques lettres étaient venues me dire qu’on m’aimait toujours, que le bonheur m’attendait dans ma bien-aimée vallée. Et moi, j’allais me battre, j’allais me faire tuer.