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dans notre trou noir, sans songer à mal, je connais la guerre, la vraie, non pas celle dont les historiens nous racontent les épisodes héroïques, mais celle qui sue la peur en plein soleil et glisse dans le sang comme une fille soûle.

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Je questionnais Chauvin.

— Et les soldats, ils allaient gaiement au feu ?

— Les soldats ! on les poussait, donc ! Je me souviens de conscrits qui n’avaient jamais vu le feu et qui se cabraient comme des chevaux ombrageux. Ils avaient peur ; à deux reprises ils prirent la fuite. Mais on les ramena, et une batterie en tua la moitié. Il fallait alors les voir, couverts de sang, aveuglés, se jetant comme des loups sur les Autrichiens. Ils ne se connaissaient plus, ils pleuraient de rage, ils voulaient mourir.

— C’est un apprentissage à faire, disais-je pour le pousser.

— Oh ! oui, un rude, j’en réponds. Voyez-vous, les plus crânes ont des sueurs froides. Il faut être gris pour bien se battre. Alors on ne voit plus rien, on tape devant soi comme un furieux.

Et il se laissait aller à ses souvenirs.