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LES ROUGON-MACQUART

causant avec plus d’abandon dans la langueur de cette fin de soirée. Le salon lui-même s’ensommeillait, des ombres lentes tombaient des murs. Alors, Fauchery parla de se retirer. Pourtant, il s’oubliait de nouveau à regarder la comtesse Sabine. Elle se reposait de ses soins de maîtresse de maison, à sa place accoutumée, muette, les yeux sur un tison qui se consumait en braise, le visage si blanc et si fermé, qu’il était repris de doute. Dans la lueur du foyer, les poils noirs du signe qu’elle avait au coin des lèvres blondissaient. Absolument le signe de Nana, jusqu’à la couleur. Il ne put s’empêcher d’en dire un mot à l’oreille de Vandeuvres. C’était ma foi vrai ; jamais celui-ci ne l’avait remarqué. Et tous les deux continuèrent le parallèle entre Nana et la comtesse. Ils leur trouvaient une vague ressemblance dans le menton et dans la bouche ; mais les yeux n’étaient pas du tout pareils. Puis, Nana avait l’air bonne fille ; tandis qu’on ne savait pas avec la comtesse, on aurait dit une chatte qui dormait, les griffes rentrées, les pattes à peine agitées d’un frisson nerveux.

— Tout de même on coucherait avec, déclara Fauchery.

Vandeuvres la déshabillait du regard.

— Oui, tout de même, dit-il. Mais, vous savez, je me défie des cuisses. Elle n’a pas de cuisses, voulez-vous parier !

Il se tut. Fauchery lui touchait le coude, en montrant d’un signe Estelle, assise sur son tabouret, devant eux. Ils venaient de hausser le ton sans la remarquer, et elle devait les avoir entendus. Cependant, elle restait raide, immobile, avec son cou maigre de fille poussée trop vite, où pas un petit cheveu n’avait bougé. Alors, ils s’éloignèrent de trois ou