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LES ROUGON-MACQUART

Georges et la Faloise, en train de boire leur tasse de thé, debout l’un devant l’autre, avaient entendu les quelques paroles échangées près d’eux.

— Tiens ! c’est donc chez Nana, murmura la Faloise, j’aurais dû m’en douter !

Georges ne disait rien, mais il flambait, ses cheveux blonds envolés, ses yeux bleus luisant comme des chandelles, tant le vice où il marchait depuis quelques jours l’allumait et le soulevait. Enfin, il entrait donc dans tout ce qu’il avait rêvé !

— C’est que je ne sais pas l’adresse, reprit la Faloise.

— Boulevard Haussmann, entre la rue de l’Arcade et la rue Pasquier, au troisième étage, dit Georges tout d’un trait.

Et, comme l’autre le regardait avec étonnement, il ajouta, très rouge, crevant de fatuité et d’embarras :

— J’en suis, elle m’a invité ce matin.

Mais un grand mouvement avait lieu dans le salon. Vandeuvres et Fauchery ne purent insister davantage auprès du comte. Le marquis de Chouard venait d’entrer, chacun s’empressait. Il s’était avancé péniblement, les jambes molles ; et il restait au milieu de la pièce, blême, les yeux clignotants, comme s’il sortait de quelque ruelle sombre, aveuglé par la clarté des lampes.

— Je n’espérais plus vous voir, mon père, dit la comtesse. J’aurais été inquiète jusqu’à demain.

Il la regarda sans répondre, de l’air d’un homme qui ne comprend pas. Son nez, très gros dans sa face rasée, semblait la boursouflure d’un mal blanc ; tandis que sa lèvre inférieure pendait. Madame Hugon, en le voyant si accablé, le plaignit, pleine de charité.

— Vous travaillez trop. Vous devriez vous reposer… À nos âges, il faut laisser le travail aux jeunes gens.