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NANA

rose, elle semblait être la sœur de sa fille, si sèche et si gauche auprès d’elle. Comme elle s’approchait de Fauchery, qui causait avec son mari et Vandeuvres, elle remarqua qu’on se taisait ; et elle ne s’arrêta pas, elle donna plus loin, à Georges Hugon, la tasse de thé qu’elle offrait.

— C’est une dame qui désire vous avoir à souper, reprit gaiement le journaliste, en s’adressant au comte Muffat.

Celui-ci, dont la face était restée grise toute la soirée, parut très surpris. Quelle dame ?

— Eh ! Nana ! dit Vandeuvres, pour brusquer l’invitation.

Le comte devint plus grave. Il eut à peine un battement de paupières, pendant qu’un malaise, comme une ombre de migraine, passait sur son front.

— Mais je ne connais pas cette dame, murmura-t-il.

— Voyons, vous êtes allé chez elle, fit remarquer Vandeuvres.

— Comment ! je suis allé chez elle… Ah ! oui, l’autre jour, pour le bureau de bienfaisance. Je n’y songeais plus… N’importe, je ne la connais pas, je ne puis accepter.

Il avait pris un air glacé, pour leur faire entendre que cette plaisanterie lui semblait de mauvais goût. La place d’un homme de son rang n’était pas à la table d’une de ces femmes. Vandeuvres se récria : il s’agissait d’un souper d’artistes, le talent excusait tout. Mais, sans écouter davantage les arguments de Fauchery qui racontait un dîner où le prince d’Écosse, un fils de reine, s’était assis à côté d’une ancienne chanteuse de café-concert, le comte accentua son refus. Même il laissa échapper un geste d’irritation, malgré sa grande politesse.