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LES ROUGON-MACQUART

les vieux amis de la maison, dans les fauteuils qu’ils occupaient là depuis quarante ans. Ce fut comme si, entre deux phrases échangées, les invités eussent senti revenir la mère du comte, avec son grand air glacial. Déjà la comtesse Sabine reprenait :

— Enfin, le bruit en a couru… Le jeune homme serait mort, et cela expliquerait l’entrée en religion de cette pauvre enfant. On dit, d’ailleurs, que jamais monsieur de Fougeray n’aurait consenti au mariage.

— On dit bien d’autres choses, s’écria Léonide étourdiment.

Elle se mit à rire, tout en refusant de parler. Sabine, gagnée par cette gaieté, porta son mouchoir à ses lèvres. Et ces rires, dans la solennité de la vaste pièce, prenaient un son dont Fauchery resta frappé ; ils sonnaient le cristal qui se brise. Certainement, il y avait là un commencement de fêlure. Toutes les voix repartirent ; madame Du Joncquoy protestait, madame Chantereau savait qu’on avait projeté un mariage, mais que les choses en étaient restées là ; les hommes eux-mêmes risquaient leur avis. Ce fut, pendant quelques minutes, une confusion de jugements où les divers éléments du salon, les bonapartistes et les légitimistes mêlés aux sceptiques mondains, donnaient à la fois et se coudoyaient. Estelle avait sonné pour qu’on mît du bois au feu, le valet remontait les lampes, on eût dit un réveil. Fauchery souriait, comme mis à l’aise.

— Parbleu ! elles épousent Dieu, lorsqu’elles n’ont pu épouser leur cousin, dit entre ses dents Vandeuvres, que cette question ennuyait, et, qui venait rejoindre Fauchery. Mon cher, avez-vous jamais vu une femme aimée se faire religieuse ?

Il n’attendit pas la réponse, il en avait assez ; et, à demi-voix :