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LES ROUGON-MACQUART

gation ; tandis que les femmes, inquiètes et souriantes, le répétaient doucement, d’un air de surprise. Personne ne connaissait Nana. D’où Nana tombait-elle ? Et des histoires couraient, des plaisanteries chuchotées d’oreille à oreille. C’était une caresse que ce nom, un petit nom dont la familiarité allait à toutes les bouches. Rien qu’à le prononcer ainsi, la foule s’égayait et devenait bon enfant. Une fièvre de curiosité poussait le monde, cette curiosité de Paris qui a la violence d’un accès de folie chaude. On voulait voir Nana. Une dame eut le volant de sa robe arraché, un monsieur perdit son chapeau.

— Ah ! vous m’en demandez trop ! cria Bordenave qu’une vingtaine d’hommes assiégeaient de questions. Vous allez la voir… Je file, on a besoin de moi.

Il disparut, enchanté d’avoir allumé son public. Mignon haussait les épaules, en rappelant à Steiner que Rose l’attendait pour lui montrer son costume du premier acte.

— Tiens ! Lucy, là-bas, qui descend de voiture, dit la Faloise à Fauchery.

C’était Lucy Stewart, en effet, une petite femme laide, d’une quarantaine d’années, le cou trop long, la face maigre, tirée, avec une bouche épaisse, mais si vive, si gracieuse, qu’elle avait un grand charme. Elle amenait Caroline Héquet et sa mère, Caroline d’une beauté froide, la mère très digne, l’air empaillé.

— Tu viens avec nous, je t’ai réservé une place, dit-elle à Fauchery.

— Ah ! non, par exemple ! pour ne rien voir ! répondit-il. J’ai un fauteuil, j’aime mieux être à l’orchestre.

Lucy se fâcha. Est-ce qu’il n’osait pas se montrer