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LES ROUGON-MACQUART

— Bah ! dis-leur d’attendre. Quand ils auront trop faim, ils s’en iront.

Son esprit avait tourné. Cela l’enchantait de faire poser les hommes. Une idée acheva de l’amuser : elle s’échappa des mains de Francis, courut mettre elle-même les verrous ; maintenant, ils pouvaient s’entasser à côté, ils ne perceraient pas le mur, peut-être. Zoé entrerait par la petite porte qui menait à la cuisine. Cependant, la sonnerie électrique marchait de plus belle. Toutes les cinq minutes, le tintement revenait, vif et clair, avec sa régularité de machine bien réglée. Et Nana les comptait, pour se distraire. Mais elle eut un brusque souvenir.

— Mes pralines, dites donc ?

Francis, lui aussi, oubliait les pralines. Il tira un sac d’une poche de sa redingote, du geste discret d’un homme du monde offrant un cadeau à une amie ; pourtant, à chaque règlement, il portait les pralines sur sa note. Nana posa le sac entre ses genoux, et se mit à croquer, en tournant la tête sous les légères poussées du coiffeur.

— Fichtre ! murmura-t-elle au bout d’un silence, voilà une bande.

Trois fois, coup sur coup, la sonnerie avait tinté. Les appels du timbre se précipitaient. Il y en avait de modestes, qui balbutiaient avec le tremblement d’un premier aveu ; de hardis, vibrant sous quelque doigt brutal ; de pressés, traversant l’air d’un frisson rapide. Un véritable carillon, comme disait Zoé, un carillon à révolutionner le quartier, toute une cohue d’hommes tapant à la file sur le bouton d’ivoire. Ce farceur de Bordenave avait vraiment donné l’adresse à trop de monde, toute la salle de la veille allait y passer.

— À propos, Francis, dit Nana, avez-vous cinq louis ?