Page:Zola - Nana.djvu/53

Cette page a été validée par deux contributeurs.
53
NANA


— Mes enfants, le gros Steiner ! dit-elle dès la porte, en baissant la voix. Celui-là, je l’ai mis dans le petit salon.

Alors, madame Maloir parla du banquier à madame Lerat, qui ne connaissait pas ces messieurs. Est-ce qu’il était en train de lâcher Rose Mignon ? Zoé hochait la tête, elle savait des choses. Mais, de nouveau, il lui fallut aller ouvrir.

— Bon ! une tuile ! murmura-t-elle en revenant. C’est le moricaud ! J’ai eu beau lui répéter que madame était sortie, il s’est installé dans la chambre à coucher… Nous ne l’attendions que ce soir.

À quatre heures un quart, Nana n’était pas encore là. Que pouvait-elle faire ? Ça n’avait pas de bon sens. On apporta deux autres bouquets. Zoé, ennuyée, regarda s’il restait du café. Oui, ces dames finiraient volontiers le café, ça les réveillerait. Elles s’endormaient, tassées sur leurs chaises, à prendre continuellement des cartes au talon, du même geste. La demie sonna. Décidément, on avait fait quelque chose à madame. Elles chuchotaient entre elles.

Tout à coup, s’oubliant, madame Maloir annonça d’une voix éclatante :

— J’ai le cinq cents !… Quinte majeure d’atout !

— Taisez-vous donc ! dit Zoé avec colère. Que vont penser tous ces messieurs ?

Et, dans le silence qui régna, dans le murmure étouffé des deux vieilles femmes se querellant, un bruit de pas rapides monta de l’escalier de service. C’était Nana enfin. Avant qu’elle eût ouvert la porte, on entendit son essoufflement. Elle entra très rouge, le geste brusque. Sa jupe, dont les tirettes avaient dû casser, essuyait les marches, et les volants venaient de tremper dans une mare, quelque pourriture coulée du premier étage, où la bonne était un vrai souillon.