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LES ROUGON-MACQUART


— Bismarck ! m’a-t-on fait enrager avec celui-là !… Oh ! je lui en veux !… Moi, je ne le connaissais pas, ce Bismarck ! On ne peut pas connaître tout le monde.

— N’importe, dit Léa de Horn pour conclure, ce Bismarck va nous flanquer une jolie tripotée…

Elle ne put continuer. Ces dames se jetaient sur elle. Hein ? quoi ? une tripotée ! C’était Bismarck qu’on allait reconduire chez lui, à coups de crosse dans le dos. Avait-elle fini, cette mauvaise Française !

— Chut ! souffla Rose Mignon, blessée d’un tel tapage.

Le froid du cadavre les reprit, elles s’arrêtèrent toutes à la fois, gênées, remises en face de la mort, avec la peur sourde du mal. Sur le boulevard, le cri passait, enroué, déchiré :

— À Berlin ! à Berlin ! à Berlin !

Alors, comme elles se décidaient à partir, une voix appela du corridor :

— Rose ! Rose !

Étonnée, Gaga ouvrit la porte, disparut un instant. Puis, quand elle revint :

— Ma chère, c’est Fauchery qui est là-bas, au fond… Il ne veut pas avancer, il est hors de lui, parce que vous restez près de ce corps.

Mignon avait fini par pousser le journaliste. Lucy, toujours à la fenêtre, se pencha ; et elle aperçut ces messieurs sur le trottoir, la figure en l’air, lui faisant de grands signes. Mignon, exaspéré, tendait les poings. Steiner, Fontan, Bordenave et les autres, ouvraient les bras, d’un air d’inquiétude et de reproche ; tandis que Daguenet, pour ne pas se compromettre, fumait simplement son cigare, les mains derrière le dos.

— C’est vrai, ma chère, dit Lucy en laissant la fe-