Page:Zola - Nana.djvu/520

Cette page a été validée par deux contributeurs.
520
LES ROUGON-MACQUART


Mais bientôt elles oublièrent de nouveau. Léa de Horn, qui avait un salon politique, où d’anciens ministres de Louis-Philippe se livraient à de fines épigrammes, reprit très bas, en haussant les épaules :

— Quelle faute, cette guerre ! quelle bêtise sanglante !

Alors, tout de suite, Lucy prit la défense de l’empire. Elle avait couché avec un prince de la maison impériale, c’était pour elle affaire de famille.

— Laissez donc, ma chère, nous ne pouvions nous laisser insulter davantage, cette guerre est l’honneur de la France… Oh ! vous savez, je ne dis pas ça à cause du prince. Il était d’un rat ! Imaginez-vous, le soir, en se couchant, il cachait ses louis dans ses bottes, et quand nous jouions au bézigue, il mettait des haricots, parce qu’un jour j’avais fait la blague de sauter sur l’enjeu… Mais ça ne m’empêche pas d’être juste. L’empereur a eu raison.

Léa hochait la tête d’un air de supériorité, en femme qui répète l’opinion de personnages considérables. Et, haussant la voix :

— C’est la fin. Ils sont fous, aux Tuileries. Hier, voyez-vous, la France aurait dû plutôt les chasser…

Toutes l’interrompirent violemment. Qu’avait-elle donc, cette enragée-là, après l’empereur ? Est-ce que le monde n’était pas heureux ? est-ce que les affaires ne marchaient pas ? Jamais Paris ne s’amuserait si fort.

Gaga s’emportait, réveillée, indignée.

— Taisez-vous ! c’est idiot, vous ne savez pas ce que vous dites !… Moi, j’ai vu Louis-Philippe, une époque de panés et de grigous, ma chère. Et puis est venu quarante-huit. Ah ! une jolie chose, une dégoûtation, leur République ! Après février, j’ai crevé la faim, moi qui vous parle !… Mais, si vous aviez