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NANA

En effet, tous ces messieurs se retrouvaient. Venus en flânant, pour donner un coup d’œil aux boulevards, ils s’appelaient, ils s’exclamaient sur la mort de cette pauvre fille ; puis, ils causaient politique et stratégie. Bordenave, Daguenet, Labordette, Prullière, d’autres encore avaient grossi le groupe. Et ils écoutaient Fontan, qui expliquait son plan de campagne pour enlever Berlin en cinq jours.

Cependant, Maria Blond, prise d’attendrissement devant le lit, murmurait comme les autres :

— Pauvre chat !… la dernière fois que je l’ai vue, c’était à la Gaîté, dans la grotte…

— Ah ! elle est changée, elle est changée, répéta Rose Mignon avec son sourire de morne accablement.

Deux femmes arrivèrent encore : Tatan Néné et Louise Violaine. Celles-là battaient le Grand-Hôtel depuis vingt minutes, renvoyées de garçon en garçon ; elles avaient monté et descendu plus de trente étages, au milieu d’une débâcle de voyageurs qui se hâtaient de quitter Paris, dans la panique de la guerre et de cette émotion des boulevards. Aussi, en entrant, se laissèrent-elles tomber sur des chaises, trop lasses pour s’occuper de la morte. Justement, un vacarme venait de la chambre voisine ; on roulait des malles, on cognait les meubles, avec tout un bruit de voix broyant des syllabes barbares. C’était un jeune ménage autrichien. Gaga racontait que, pendant l’agonie, les voisins avaient joué à se poursuivre ; et, comme une simple porte condamnée séparait les deux chambres, on les entendait rire et s’embrasser, quand ils s’attrapaient.

— Voyons, il faut partir, dit Clarisse. Nous ne la ressusciterons pas… Viens-tu, Simonne ?

Toutes regardaient le lit du coin de l’œil, sans