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NANA

rent à la cuisine, où elles s’installèrent sur un bout de la table, entre les torchons qui séchaient et la bassine encore pleine d’eau de vaisselle.

— Nous avons dit trois cent quarante… À vous.

— Je joue du cœur.

Lorsque Zoé revint, elle les trouva de nouveau absorbées. Au bout d’un silence, comme madame Lerat battait les cartes, madame Maloir demanda :

— Qui est-ce ?

— Oh ! personne, répondit la bonne négligemment, un petit jeune homme… Je voulais le renvoyer, mais il est si joli, sans un poil de barbe, avec ses yeux bleus et sa figure de fille, que j’ai fini par lui dire d’attendre… Il tient un énorme bouquet dont il n’a jamais consenti à se débarrasser… Si ce n’est pas à lui allonger des claques, un morveux qui devrait être encore au collège !

Madame Lerat alla chercher une carafe d’eau, pour faire un grog ; les canards l’avaient altérée. Zoé murmura que, tout de même, elle en boirait bien un aussi. Elle avait, disait-elle, la bouche amère comme du fiel.

— Alors, vous l’avez mis… ? reprit madame Maloir.

— Tiens ! dans le cabinet du fond, la petite pièce qui n’est pas meublée… Il y a tout juste une malle à madame et une table. C’est là que je loge les pignoufs.

Et elle sucrait fortement son grog, lorsque la sonnerie électrique la fit sauter. Nom d’un chien ! est-ce qu’on ne la laisserait pas boire tranquillement ? Ça promettait, si le carillon commençait déjà. Pourtant, elle courut ouvrir. Puis, à son retour, voyant madame Maloir qui l’interrogeait du regard :

— Rien, un bouquet.

Toutes trois se rafraîchirent, en se saluant d’un