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LES ROUGON-MACQUART

toirs, envahissait la chaussée. Du côté de la Madeleine, le soleil s’était couché derrière un nuage sanglant, dont le reflet d’incendie faisait flamber les fenêtres hautes. Un crépuscule tombait, une heure lourde et mélancolique, avec l’enfoncement déjà obscur des avenues, que les feux des becs de gaz ne piquaient pas encore de leurs étincelles vives. Et, parmi ce peuple en marche, des voix lointaines grandissaient, des regards luisaient dans des faces pâles, tandis qu’un grand souffle d’angoisse et de stupeur épandu emportait toutes les têtes.

— Voilà Mignon, dit Lucy. Il va nous donner des nouvelles.

Mignon était debout sous le vaste porche du Grand-Hôtel, l’air nerveux, regardant la foule. Aux premières questions de Lucy, il s’emporta, criant :

— Est-ce que je sais ! Voilà deux jours que je ne peux arracher Rose de là haut… C’est stupide à la fin, de risquer sa peau ainsi ! Elle sera gentille, si elle y passe, avec des trous dans la figure ! Ça nous arrangera bien.

Cette idée que Rose pouvait perdre sa beauté l’exaspérait. Il lâchait Nana carrément, ne comprenant rien aux dévouements bêtes des femmes. Mais Fauchery traversait le boulevard, et, lorsqu’il fut là, inquiet lui aussi, demandant des nouvelles, tous deux se poussèrent. Maintenant, ils se tutoyaient.

— Toujours la même chose, mon petit, déclara Mignon. Tu devrais monter, tu la forcerais à te suivre.

— Tiens ! tu es bon, toi ! dit le journaliste. Pourquoi n’y montes-tu pas toi-même ?

Alors, comme Lucy demandait le numéro, ils la supplièrent de faire descendre Rose ; autrement, ils finiraient par se fâcher. Pourtant, Lucy et Caroline