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NANA


— Nom de Dieu ! ce n’est pas juste ! La société est mal faite. On tombe sur les femmes, quand ce sont les hommes qui exigent des choses… Tiens ! je puis te dire ça, maintenant : lorsque j’allais avec eux, n’est-ce pas ? eh bien ! ça ne me faisait pas plaisir, mais pas plaisir du tout. Ça m’embêtait, parole d’honneur !… Alors, je te demande un peu si je suis pour quelque chose là-dedans !… Ah ! oui, ils m’ont assommée ! Sans eux, mon cher, sans ce qu’ils ont fait de moi, je serais dans un couvent à prier le bon Dieu, car j’ai toujours eu de la religion… Et zut ! après tout, s’ils y ont laissé leur monnaie et leur peau. C’est leur faute ! Moi, je n’y suis pour rien !

— Sans doute, dit Labordette convaincu.

Zoé introduisait Mignon, Nana le reçut en souriant ; elle avait bien pleuré, c’était fini. Il la complimenta sur son installation, encore chaud d’enthousiasme ; mais elle laissa voir qu’elle avait assez de son hôtel ; maintenant, elle rêvait autre chose, elle bazarderait tout, un de ces jours. Puis, comme il donnait un prétexte à sa visite, en parlant d’une représentation au bénéfice du vieux Bosc, cloué dans un fauteuil par une paralysie, elle s’apitoya beaucoup, elle lui prit deux loges. Cependant, Zoé ayant dit que la voiture attendait madame, elle demanda son chapeau ; et, tout en nouant les brides, elle conta l’aventure de cette pauvre Satin, puis ajouta :

— Je vais à l’hôpital… Personne ne m’a aimée comme elle. Ah ! on a bien raison d’accuser les hommes de manquer de cœur !… Qui sait ? je ne la trouverai peut-être plus. N’importe, je demanderai à la voir. Je veux l’embrasser.

Labordette et Mignon eurent un sourire. Elle n’était plus triste, elle sourit également, car ils ne comptaient pas, ces deux-là, ils pouvaient compren-