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LES ROUGON-MACQUART

réglé, ça marchait très bien, ils rivalisaient l’un l’autre pour la félicité commune. Justement, Mignon venait, sur le conseil de Fauchery, voir s’il ne pouvait pas enlever à Nana sa femme de chambre, dont le journaliste avait apprécié l’intelligence hors ligne ; Rose était désolée, elle tombait depuis un mois sur des filles inexpérimentées, qui la mettaient dans des embarras continuels. Comme Zoé le recevait, il la poussa tout de suite dans la salle à manger. Au premier mot, elle eut un sourire : impossible, elle quittait madame, elle s’établissait à son compte ; et elle ajouta, d’un air de vanité discrète, que chaque jour elle recevait des propositions, ces dames se la disputaient, madame Blanche lui avait fait un pont d’or pour la ravoir. Zoé prenait l’établissement de la Tricon, un vieux projet longtemps couvé, une ambition de fortune où allaient passer ses économies ; elle était pleine d’idées larges, elle rêvait d’agrandir la chose, de louer un hôtel et d’y réunir tous les agréments ; c’était même à ce propos qu’elle avait tâché d’embaucher Satin, une petite bête qui se mourait à l’hôpital, tellement elle se gâchait.

Mignon ayant insisté en parlant des risques que l’on court dans le commerce, Zoé, sans s’expliquer sur le genre de son établissement, se contenta de dire avec un sourire pincé, comme si elle avait pris une confiserie :

— Oh ! les choses de luxe marchent toujours… Voyez-vous, il y a assez longtemps que je suis chez les autres, je veux que les autres soient chez moi.

Et une férocité lui retroussait les lèvres, elle serait enfin « madame », elle tiendrait à ses pieds, pour quelques louis, ces femmes dont elle rinçait les cuvettes depuis quinze ans.

Mignon voulut se faire annoncer, et Zoé le laissa