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NANA

— Couche-toi donc, fourre-toi dans le lit, dit-elle en le renversant et en l’enterrant sous le drap, comme une ordure qu’on ne peut montrer.

Et elle sauta pour refermer la porte. Pas de chance, décidément, avec son petit mufe ! Il tombait toujours mal à propos. Aussi pourquoi allait-il chercher de l’argent en Normandie ? Le vieux lui avait apporté ses quatre mille francs, et elle s’était laissé faire. Elle repoussa les battants de la porte, elle cria :

— Tant pis ! c’est ta faute. Est-ce qu’on entre comme cela ? En voilà assez, bon voyage !

Muffat demeurait devant cette porte fermée, dans le foudroiement de ce qu’il venait de voir. Son frisson grandissait, un frisson qui lui montait des jambes dans la poitrine et dans le crâne. Puis, comme un arbre secoué par un grand vent, il chancela, il s’abattit sur les genoux, avec un craquement de tous les membres. Et, les mains désespérément tendues, il balbutia :

— C’est trop, mon Dieu ! c’est trop.

Il avait tout accepté. Mais il ne pouvait plus, il se sentait à bout de force, dans ce noir où l’homme culbute avec sa raison. D’un élan extraordinaire, les mains toujours plus hautes, il cherchait le ciel, il appelait Dieu.

— Oh ! non, je ne veux pas !… Oh ! venez à moi, mon Dieu ! secourez-moi, faites-moi mourir plutôt !… Oh ! non, pas cet homme, mon Dieu ! c’est fini, prenez-moi, emportez-moi, que je ne voie plus, que je ne sente plus… Oh ! je vous appartiens, mon Dieu ! notre Père qui êtes au ciel…

Et il continuait, brûlant de foi, et une oraison ardente s’échappait de ses lèvres. Mais quelqu’un le touchait à l’épaule. Il leva les yeux, c’était M. Venot,