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NANA

vol de flamme rase une province. Elle brûlait la terre où elle posait son petit pied. Ferme à ferme, prairie à prairie, elle croqua l’héritage, de son air gentil, sans même s’en apercevoir, comme elle croquait entre ses repas un sac de pralines posé sur ses genoux. Ça ne tirait pas à conséquence, c’étaient des bonbons. Mais, un soir, il ne resta qu’un petit bois. Elle l’avala d’un air de dédain, car ça ne valait même pas la peine d’ouvrir la bouche. La Faloise avait un rire idiot, en suçant la pomme de sa canne. La dette l’écrasait, il ne possédait plus cent francs de rente, il se voyait forcé de retourner en province vivre chez un oncle maniaque ; mais ça ne faisait rien, il était chic, le Figaro avait imprimé deux fois son nom ; et, le cou maigre entre les pointes rabattues de son faux col, la taille cassée sous un veston trop court, il se dandinait, avec des exclamations de perruche et des lassitudes affectées de pantin de bois, qui n’a jamais eu une émotion. Nana, qu’il agaçait, finit par le battre.

Cependant, Fauchery était revenu, amené par son cousin. Ce malheureux Fauchery, à cette heure, avait un ménage. Après avoir rompu avec la comtesse, il se trouvait aux mains de Rose, qui usait de lui comme d’un mari véritable. Mignon demeurait simplement le majordome de madame. Installé en maître, le journaliste mentait à Rose, prenait toutes sortes de précautions, lorsqu’il la trompait, plein des scrupules d’un bon époux désireux de se ranger enfin. Le triomphe de Nana fut de l’avoir et de lui manger un journal, qu’il avait fondé avec l’argent d’un ami ; elle ne l’affichait pas, se plaisait au contraire à le traiter en monsieur qui doit se cacher ; et, quand elle parlait de Rose, elle disait « cette pauvre Rose. » Le journal lui donna des fleurs pendant deux mois ; elle avait des abonnés en pro-