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LES ROUGON-MACQUART

encore gantée et son chapeau sur la tête. L’hôtel retombait à un silence lourd, la voiture venait de partir ; et elle demeurait immobile, n’ayant pas une idée, la tête bourdonnante de cette histoire. Un quart d’heure plus tard, le comte Muffat la trouva à la même place. Mais alors elle se soulagea par un flux débordant de paroles, lui contant le malheur, revenant vingt fois sur les mêmes détails, ramassant les ciseaux tachés de sang pour refaire le geste de Zizi, quand il s’était frappé. Et elle avait surtout à cœur de prouver son innocence.

— Voyons, chéri, est-ce ma faute ? Si tu étais la justice, est-ce que tu me condamnerais ?… Je n’ai pas dit à Philippe de manger la grenouille, bien sûr ; pas plus que je n’ai poussé ce petit malheureux à se massacrer… Dans tout ça, je suis la plus malheureuse. On vient faire ses bêtises chez moi, on me cause de la peine, on me traite comme une coquine…

Et elle se mit à pleurer. Une détente nerveuse la rendait molle et dolente, très attendrie, avec un immense chagrin.

— Toi aussi, tu as l’air de n’être pas content… Demande un peu à Zoé, si j’y suis pour quelque chose… Zoé, parlez donc, expliquez à monsieur…

Depuis un instant, la femme de chambre, qui avait pris dans le cabinet une serviette et une cuvette d’eau, frottait le tapis pour enlever une tache de sang, pendant que c’était frais.

— Oh ! monsieur, déclara-t-elle, madame est assez désolée !

Muffat restait saisi, glacé par ce drame, la pensée pleine de cette mère pleurant ses fils. Il connaissait son grand cœur, il la voyait, dans ses habits de veuve, s’éteignant seule aux Fondettes. Mais Nana se