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LES ROUGON-MACQUART

avait coupé le crédit ; et les domestiques épousaient sa cause, François disait que madame ne le paierait jamais s’il ne faisait pas une bonne scène, Charles parlait de monter aussi pour régler un vieux compte de paille resté en arrière, pendant que Victorine conseillait d’attendre la présence d’un monsieur et de tirer l’argent, en tombant en plein dans la conversation. La cuisine se passionnait, tous les fournisseurs étaient mis au courant, c’étaient des commérages de trois et quatre heures, madame déshabillée, épluchée, racontée, avec l’acharnement d’une domesticité oisive, qui crevait de bien-être. Seul, Julien, le maître d’hôtel, affectait de défendre madame : tout de même, elle était chic ; et quand les autres l’accusaient de coucher avec, il riait d’un air fat, ce qui mettait la cuisinière hors d’elle, car elle aurait voulu être un homme pour cracher sur le derrière de ces femmes, tant ça l’aurait dégoûtée. Méchamment, François avait posté le boulanger dans le vestibule, sans avertir madame. Comme elle descendait, madame le trouva devant elle, à l’heure du déjeuner. Elle prit la note, elle lui dit de revenir vers trois heures. Alors, avec de sales mots, il partit, en jurant d’être exact et de se payer lui-même, n’importe comment.

Nana déjeuna fort mal, vexée de cette scène. Cette fois, il fallait se débarrasser de cet homme. À dix reprises, elle avait mis de côté son argent ; mais l’argent s’était toujours fondu, un jour pour des fleurs, un autre jour pour une souscription faite en faveur d’un vieux gendarme. D’ailleurs, elle comptait sur Philippe, elle s’étonnait même de ne pas le voir, avec ses deux cents francs. C’était un vrai guignon, l’avant-veille elle avait encore nippé Satin, tout un trousseau, près de douze cents francs de robes et de linge ; et il ne lui restait pas un louis chez elle.