Page:Zola - Nana.djvu/461

Cette page a été validée par deux contributeurs.
461
NANA

la caisse de son régiment. Depuis trois mois, il détournait de petites sommes, espérant les remettre, dissimulant le déficit par de fausses pièces ; et cette fraude réussissait toujours, grâce aux négligences du conseil d’administration. La vieille dame, atterrée devant le crime de son enfant, eut un premier cri de colère contre Nana ; elle savait la liaison de Philippe, ses tristesses venaient de ce malheur qui la retenait à Paris, dans la crainte d’une catastrophe ; mais jamais elle n’avait redouté tant de honte, et maintenant elle se reprochait ses refus d’argent comme une complicité. Tombée sur un fauteuil, les jambes prises par la paralysie, elle se sentait inutile, incapable d’une démarche, clouée là pour mourir. Pourtant, la pensée brusque de Georges la consola ; Georges lui restait, il pourrait agir, les sauver peut-être. Alors, sans demander le secours de personne, désirant ensevelir ces choses entre eux, elle se traîna et monta l’étage, rattachée à cette idée qu’elle avait encore une tendresse auprès d’elle. Mais, en haut, elle trouva la chambre vide. Le concierge lui dit que monsieur Georges était sorti de bonne heure. Un second malheur soufflait dans cette chambre ; le lit avec ses draps mordus contait toute une angoisse ; une chaise jetée à terre, parmi des vêtements, semblait morte. Georges devait être chez cette femme. Et madame Hugon, les yeux secs, les jambes fortes, descendit. Elle voulait ses fils, elle partait les réclamer.

Depuis le matin, Nana avait des embêtements. D’abord, c’était ce boulanger qui, dès neuf heures, avait paru avec sa note, une misère, cent trente-trois francs de pain qu’elle ne parvenait pas à solder, au milieu du train royal de l’hôtel. Il s’était présenté vingt fois, irrité d’avoir été changé, du jour où il