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NANA

les détruisant tous. Une lueur s’allumait dans ses yeux vides, un petit retroussement des lèvres montrait ses dents blanches. Puis, lorsque tous furent en morceaux, très rouge, reprise de son rire, elle frappa la table de ses mains élargies, elle zézaya d’une voix de gamine :

— Fini ! n’a plus ! n’a plus !

Alors, Philippe, gagné par cette ivresse, s’égaya et lui baisa la gorge, en la renversant en arrière. Elle s’abandonnait, elle se pendait à ses épaules, si heureuse, qu’elle ne se rappelait pas s’être tant amusée depuis longtemps. Et, sans le lâcher, d’un ton de caresse :

— Dis donc, chéri, tu devrais bien m’apporter dix louis demain… Un embêtement, une note de mon boulanger qui me tourmente.

Il était devenu pâle ; puis, en lui mettant un dernier baiser sur le front, il dit simplement :

— Je tâcherai.

Un silence régna. Elle s’habillait. Lui, appuyait le front à une vitre. Au bout d’une minute, il revint, il reprit avec lenteur :

— Nana, tu devrais m’épouser.

Du coup, cette idée égaya tellement la jeune femme, qu’elle ne pouvait achever de nouer ses jupons.

— Mais, mon pauvre chien, tu es malade !… Est-ce parce que je te demande dix louis que tu m’offres ta main ?… Jamais. Je t’aime trop. En voilà une bêtise, par exemple !

Et, comme Zoé entrait pour la chausser, ils ne parlèrent plus de ça. La femme de chambre avait tout de suite guigné les cadeaux en miettes sur la table. Elle demanda s’il fallait serrer ces choses ; et madame ayant dit de les jeter, elle emporta tout dans un coin