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LES ROUGON-MACQUART

gaietés timides, alors à peine commençantes, que Fauchery, un soir d’avril, avait entendues sonner avec le son d’un cristal qui se brise, s’étaient peu à peu enhardies, affolées, jusqu’à cet éclat de fête. Maintenant, la fêlure augmentait ; elle lézardait la maison, elle annonçait l’effondrement prochain. Chez les ivrognes des faubourgs, c’est par la misère noire, le buffet sans pain, la folie de l’alcool vidant les matelas, que finissent les familles gâtées. Ici, sur l’écroulement de ces richesses, entassées et allumées d’un coup, la valse sonnait le glas d’une vieille race ; pendant que Nana, invisible, épandue au-dessus du bal avec ses membres souples, décomposait ce monde, le pénétrait du ferment de son odeur flottant dans l’air chaud, sur le rythme canaille de la musique.

Ce fut le soir du mariage à l’église que le comte Muffat se présenta dans la chambre de sa femme, où il n’était pas entré depuis deux ans. La comtesse, très surprise, recula d’abord. Mais elle avait son sourire, ce sourire d’ivresse qui ne la quittait plus. Lui, très gêné, balbutiait. Alors, elle lui fit un peu de morale. D’ailleurs, ni l’un ni l’autre ne risquèrent une explication nette. C’était la religion qui voulait ce pardon mutuel ; et il fut convenu entre eux, par un accord tacite, qu’ils garderaient leur liberté. Avant de se mettre au lit, comme la comtesse paraissait hésiter encore, ils causèrent affaires. Le premier, il parla de vendre les Bordes. Elle, tout de suite, consentit. Ils avaient de grands besoins, ils partageraient. Cela acheva la réconciliation. Muffat en ressentit un véritable soulagement dans ses remords.

Justement, ce jour-là, comme Nana sommeillait vers deux heures, Zoé se permit de frapper à la porte de la chambre. Les rideaux étaient tirés, un