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LES ROUGON-MACQUART

sieurs, restés sur le perron du jardin, se haussaient, pour voir la scène. Nana devait avoir bavardé.

— Le comte ne l’a pas aperçu, murmura Georges. Attention ! il se retourne… Là, ça y est.

L’orchestre venait de reprendre la valse de la Blonde Vénus. D’abord, Fauchery avait salué la comtesse, qui souriait toujours, dans une sérénité ravie. Puis, il était resté un instant immobile, derrière le dos du comte, à attendre, très calme. Le comte, cette nuit-là, gardait sa hautaine gravité, le port de tête officiel du grand dignitaire. Lorsqu’il abaissa enfin les yeux sur le journaliste, il exagéra encore son attitude majestueuse. Pendant quelques secondes, les deux hommes se regardèrent. Et ce fut Fauchery qui, le premier, tendit la main. Muffat donna la sienne. Leurs mains étaient l’une dans l’autre, la comtesse Sabine souriait devant eux, les cils baissés, tandis que la valse, continuellement, déroulait son rythme de polissonnerie railleuse.

— Mais ça va tout seul ! dit Steiner.

— Est-ce que leurs mains sont collées ? demanda Foucarmont, surpris de la longueur de l’étreinte.

Un invincible souvenir amenait une lueur rose aux joues pâles de Fauchery. Il revoyait le magasin des accessoires, avec son jour verdâtre, son bric-à-brac couvert de poussière ; et Muffat s’y trouvait, tenant le coquetier, abusant de ses doutes. À cette heure, Muffat ne doutait plus, c’était un dernier coin de dignité qui croulait. Fauchery, soulagé dans sa peur, voyant la gaieté claire de la comtesse, fut pris d’une envie de rire. Ça lui semblait comique.

— Ah ! cette fois, c’est elle ! cria la Faloise, qui ne lâchait pas une plaisanterie, lorsqu’il la croyait bonne. Nana, là-bas, vous la voyez qui entre ?

— Tais-toi donc, idiot ! murmura Philippe.