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LES ROUGON-MACQUART

— Apportez-moi un pot de pommade et une livre de pralines, de chez Boissier ! lui cria Nana à travers le salon, au moment où il refermait la porte.

Alors, les deux femmes, restées seules, se souvinrent qu’elles ne s’étaient pas embrassées ; et elles se posèrent de gros baisers sur les joues. L’article les échauffait. Nana, jusque-là endormie, fut reprise de la fièvre de son triomphe. Ah bien ! c’était Rose Mignon qui devait passer une jolie matinée ! Sa tante n’ayant pas voulu venir au théâtre, parce que, disait-elle, les émotions lui cassaient l’estomac, elle se mit à lui raconter la soirée, en se grisant de son propre récit, comme si Paris entier eût croulé sous les applaudissements. Puis, s’interrompant tout d’un coup, elle demanda avec un rire si l’on aurait dit ça, quand elle traînait son derrière de gamine, rue de la Goutte-d’Or. Madame Lerat branlait la tête. Non, non, jamais on n’aurait pu prévoir. À son tour, elle parla, prenant un air grave et l’appellant sa fille. Est-ce qu’elle n’était pas sa seconde mère, puisque la vraie avait rejoint le papa et la grand’maman. Nana, très attendrie, fut sur le point de pleurer. Mais madame Lerat répétait que le passé était le passé, oh ! un sale passé, des choses à ne pas remuer tous les jours. Longtemps elle avait cessé de voir sa nièce ; car, dans la famille, on l’accusait de se perdre avec la petite. Comme si c’était Dieu possible ! Elle ne lui demandait pas de confidences, elle croyait qu’elle avait toujours vécu proprement. À présent, ça lui suffisait de la retrouver dans une belle position et de lui voir de bons sentiments pour son fils. Il n’y avait encore en ce monde que l’honnêteté et le travail.

— De qui est-il, ce bébé ? dit-elle en s’interrompant, les yeux allumés d’une curiosité aiguë.