Page:Zola - Nana.djvu/438

Cette page a été validée par deux contributeurs.
438
LES ROUGON-MACQUART


— Sabine est folle, répondait madame Du Joncquoy. L’avez-vous vue à la porte ? Tenez, on l’aperçoit d’ici… Elle a tous ses diamants.

Un instant, elles se levèrent pour examiner de loin la comtesse et le comte. Sabine, en toilette blanche, garnie d’un point d’Angleterre merveilleux, était triomphante de beauté, jeune, gaie, avec une pointe d’ivresse dans son continuel sourire. Près d’elle, Muffat, vieilli, un peu pâle, souriait aussi, de son air calme et digne.

— Et penser qu’il était le maître, reprit madame Chantereau, que pas un petit banc ne serait entré sans qu’il l’eût permis !… Ah bien ! elle a changé ça, il est chez elle, à cette heure… Vous souvenez-vous, lorsqu’elle ne voulait pas refaire son salon ? C’est l’hôtel qu’elle a refait.

Mais elles se turent, madame de Chezelles entrait, suivie d’une bande de jeunes messieurs, s’extasiant, approuvant avec de légères exclamations.

— Oh ! délicieux !… exquis !… c’est d’un goût !

Et elle leur jeta de loin :

— Que disais-je ! Il n’y a rien comme ces vieilles masures, lorsqu’on les arrange… Ça vous prend un chic ! N’est-ce pas ? tout à fait grand siècle… Enfin, elle peut recevoir.

Les deux vieilles dames s’étaient assises de nouveau, baissant la voix, causant du mariage, qui étonnait bien des gens. Estelle venait de passer, en robe de soie rose, toujours maigre et plate, avec sa face muette de vierge. Elle avait accepté Daguenet, paisiblement ; elle ne témoignait ni joie ni tristesse, aussi froide, aussi blanche que les soirs d’hiver où elle mettait des bûches au feu. Toute cette fête donnée pour elle, ces lumières, ces fleurs, cette musique, la laissaient sans une émotion.