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NANA

Elle finit par se tâter les os de la face, longuement, avec les deux mains.

— On est laid, quand on est mort, dit-elle d’une voix lente.

Et elle se serrait les joues, elle s’agrandissait les yeux, s’enfonçait la mâchoire pour voir comment elle serait. Puis, se tournant vers le comte, ainsi défigurée :

— Regarde donc, j’aurai la tête toute petite, moi.

Alors, il se fâcha.

— Tu es folle, viens te coucher.

Il la voyait dans une fosse, avec le décharnement d’un siècle de sommeil ; et ses mains s’étaient jointes, il bégayait une prière. Depuis quelque temps, la religion l’avait reconquis ; ses crises de foi, chaque jour, reprenaient cette violence de coups de sang, qui le laissaient comme assommé. Les doigts de ses mains craquaient, il répétait ces seuls mots, continuellement : « Mon Dieu… mon Dieu… mon Dieu. » C’était le cri de son impuissance, le cri de son péché, contre lequel il restait sans force, malgré la certitude de sa damnation. Quand elle revint, elle le trouva sous la couverture, hagard, les ongles dans la poitrine, les yeux en l’air comme pour chercher le ciel. Et elle se remit à pleurer, tous deux s’embrassèrent, claquant des dents sans savoir pourquoi, roulant au fond de la même obsession imbécile. Ils avaient déjà passé une nuit semblable ; seulement, cette fois, c’était complètement idiot, ainsi que Nana le déclara, lorsqu’elle n’eut plus peur. Un soupçon lui fit interroger le comte avec prudence : peut-être Rose Mignon avait-elle envoyé la fameuse lettre. Mais ce n’était pas ça, c’était le trac, pas davantage, car il ignorait encore son cocuage.

Deux jours plus tard, après une nouvelle dispari-