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LES ROUGON-MACQUART

— Hein ? penses-tu que j’irai au ciel ?

Et elle avait un frisson, tandis que le comte, surpris de ces questions singulières en un pareil moment, sentait s’éveiller ses remords de catholique. Mais, la chemise glissée des épaules, les cheveux dénoués, elle se rabattit sur sa poitrine, en sanglotant, en se cramponnant.

— J’ai peur de mourir… J’ai peur de mourir…

Il eut toutes les peines du monde à se dégager. Lui-même craignait de céder au coup de folie de cette femme, collée contre son corps, dans l’effroi contagieux de l’invisible ; et il la raisonnait, elle se portait parfaitement, elle devait simplement se bien conduire pour mériter un jour le pardon. Mais elle hochait la tête ; sans doute elle ne faisait de mal à personne ; même elle portait toujours une médaille de la Vierge, qu’elle lui montra, pendue à un fil rouge, entre les seins ; seulement, c’était réglé d’avance, toutes les femmes qui n’étaient pas mariées et qui voyaient des hommes, allaient en enfer. Des lambeaux de son catéchisme lui revenaient. Ah ! si l’on avait su au juste ; mais voilà, on ne savait rien, personne ne rapportait des nouvelles ; et, vrai ! ce serait stupide de se gêner, si les prêtres disaient des bêtises. Pourtant, elle baisait dévotement la médaille, toute tiède de sa peau, comme une conjuration contre la mort, dont l’idée l’emplissait d’une horreur froide.

Il fallut que Muffat l’accompagnât dans le cabinet de toilette ; elle tremblait d’y rester une minute seule, même en laissant la porte ouverte. Quand il se fut recouché, elle rôda encore par la chambre, visitant les coins, tressaillant au plus léger bruit. Une glace l’arrêta, elle s’oublia comme autrefois, dans le spectacle de sa nudité. Mais la vue de sa gorge, de ses hanches et de ses cuisses, redoublait sa peur.