Page:Zola - Nana.djvu/417

Cette page a été validée par deux contributeurs.
417
NANA

cette grosse fille ; pendant que la Tricon, qui s’était signée au départ et à l’arrivée des chevaux, redressait sa haute taille au-dessus d’elles, ravie de son flair, sacrant Nana, en matrone d’expérience.

Autour du landau, cependant, la poussée des hommes grandissait encore. La bande avait jeté des clameurs féroces. Georges, étranglé, continuait tout seul à crier, d’une voix qui se brisait. Comme le champagne manquait, Philippe, emmenant les valets de pied, venait de courir aux buvettes. Et la cour de Nana s’élargissait toujours, son triomphe décidait les retardataires ; le mouvement qui avait fait de sa voiture le centre de la pelouse s’achevait en apothéose, la reine Vénus dans le coup de folie de ses sujets. Bordenave, derrière elle, mâchait des jurons, avec un attendrissement de père. Steiner lui-même, reconquis, avait lâché Simonne et se hissait sur l’un des marchepieds. Quand le champagne fut arrivé, quand elle leva son verre plein, ce furent de tels applaudissements, on reprenait si fort : Nana ! Nana ! Nana ! que la foule étonnée cherchait la pouliche ; et l’on ne savait plus si c’était la bête ou la femme qui emplissait les cœurs.

Cependant, Mignon accourait, malgré les regards terribles de Rose. Cette sacrée fille le mettait hors de lui, il voulait l’embrasser. Puis, après l’avoir baisée sur les deux joues, paternellement :

— Ce qui m’embête, c’est que, pour sûr, à présent, Rose va envoyer la lettre… Elle rage trop.

— Tant mieux ! ça m’arrange ! laissa échapper Nana.

Mais, le voyant stupéfait, elle se hâta de reprendre :

— Ah ! non, qu’est-ce que je dis ?… Vrai, je ne sais plus ce que je dis !… Je suis grise.