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NANA

ment ! on ne pesait que les jockeys ! Alors, ça ne valait pas la peine de faire tant d’embarras, avec leur pesage ! Dans la balance, un jockey, l’air idiot, ses harnais sur les genoux, attendait qu’un gros homme en redingote eût vérifié son poids ; tandis qu’un garçon d’écurie, à la porte, tenait le cheval, Cosinus, autour duquel la foule s’attroupait, silencieuse, absorbée.

On allait fermer la piste. Labordette pressait Nana, mais il revint sur ses pas pour lui montrer un petit homme, causant avec Vandeuvres, à l’écart.

— Tiens, voilà Price, dit-il.

— Ah ! oui, celui qui me monte, murmura-t-elle en riant.

Et elle le trouva joliment laid. Tous les jockeys lui avaient l’air crétin ; sans doute, disait-elle, parce qu’on les empêchait de grandir. Celui-là, un homme de quarante ans, paraissait un vieil enfant desséché, avec une longue figure maigre, creusée de plis, dure et morte. Le corps était si noueux, si réduit, que la casaque bleue, aux manches blanches, semblait jetée sur du bois.

— Non, tu sais, reprit-elle en s’en allant, il ne ferait pas mon bonheur.

Une cohue emplissait encore la piste, dont l’herbe, mouillée et piétinée, était devenue noire. Devant les deux tableaux indicateurs, très hauts sur leur colonne de fonte, la foule se pressait, levant la tête, accueillant d’un brouhaha chaque numéro de cheval, qu’un fil électrique, relié à la salle du pesage, faisait apparaître. Des messieurs pointaient sur des programmes ; Pichenette, retirée par son propriétaire, causait une rumeur. D’ailleurs, Nana ne fit que traverser, au bras de Labordette. La cloche, pendue au mât de l’oriflamme, sonnait avec persistance, pour qu’on évacuât la piste.