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NANA

Une rotonde s’ouvrait, entre les pelouses bordées de jeunes marronniers ; et là, formant un vaste cercle, abrités sous les feuilles d’un vert tendre, une ligne serrée de bookmakers attendaient les parieurs, comme dans une foire. Pour dominer la foule, ils se haussaient sur des bancs de bois ; ils affichaient leurs cotes près d’eux, contre les arbres ; tandis que, l’œil au guet, ils inscrivaient des paris, sur un geste, sur un clignement de paupières, si rapidement, que des curieux, béants, les regardaient sans comprendre. C’était une confusion, des chiffres criés, des tumultes accueillant les changements de cote inattendus. Et, par moments, redoublant le tapage, des avertisseurs débouchaient en courant, s’arrêtaient à l’entrée de la rotonde, jetaient violemment un cri, un départ, une arrivée, qui soulevait de longues rumeurs, dans cette fièvre du jeu battant au soleil.

— Sont-ils drôles ! murmura Nana, très amusée. Ils ont des figures à l’envers… Tiens, ce grand-là, je ne voudrais pas le rencontrer toute seule, au fond d’un bois.

Mais Vandeuvres lui montra un bookmaker, un commis de nouveautés, qui avait gagné trois millions en deux ans. La taille grêle, délicat et blond, il était entouré d’un respect ; on lui parlait en souriant, des gens stationnaient pour le voir.

Enfin, ils quittaient la rotonde, lorsque Vandeuvres adressa un léger signe de tête à un autre bookmaker, qui se permit alors de l’appeler. C’était un de ses anciens cochers, énorme, les épaules d’un bœuf, la face haute en couleur. Maintenant qu’il tentait la fortune aux courses, avec des fonds d’origine louche, le comte tâchait de le pousser, le chargeant de ses paris secrets, le traitant toujours en domestique dont on ne se cache pas. Malgré cette protection, cet