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NANA

Georges, hardiment, se présenta devant le landau des Mignon, Rose, outrée, tourna la tête, sans répondre. Il fallait être une jolie ordure, pour laisser donner son nom à un cheval ! Au contraire, Mignon suivit le jeune homme, l’air amusé, disant que les femmes portaient toujours bonheur.

— Eh bien ? demanda Nana, quand les jeunes gens revinrent, après une longue visite aux bookmakers.

— Vous êtes à quarante, dit la Faloise.

— Comment ? à quarante ! cria-t-elle, stupéfaite. J’étais à cinquante… Que se passe-t-il ?

Labordette, justement, avait reparu. On fermait la piste, une volée de cloche annonçait la première course. Et, dans le brouhaha d’attention, elle le questionna sur cette hausse brusque de la cote. Mais il répondit évasivement ; sans doute des demandes s’étaient produites. Elle dut se contenter de cette explication. D’ailleurs, Labordette, l’air préoccupé, lui annonça que Vandeuvres allait venir, s’il pouvait s’échapper.

La course s’achevait, comme inaperçue dans l’attente du Grand Prix, lorsqu’un nuage creva sur l’hippodrome. Depuis un instant, le soleil avait disparu, un jour livide assombrissait la foule. Le vent se leva, ce fut un brusque déluge, des gouttes énormes, des paquets d’eau qui tombaient. Il y eut une minute de confusion, des cris, des plaisanteries, des jurements, au milieu du sauve-qui-peut des piétons galopant et se réfugiant sous les tentes des buvettes. Dans les voitures, les femmes tâchaient de s’abriter, tenaient à deux mains leurs ombrelles, pendant que les laquais effarés couraient aux capotes. Mais l’averse cessait déjà, le soleil resplendissait dans la poussière de pluie qui volait encore. Une déchirure bleue s’ouvrait derrière la nuée, emportée au-dessus