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NANA

ham qui montait Lusignan ; alors, qu’on lui fichât la paix ! Gresham avait la guigne, jamais il n’arrivait.

Et, d’un bout à l’autre de la pelouse, la discussion qui s’élevait dans le landau de Nana semblait s’élargir. Des voix glapissantes montaient, la passion du jeu soufflait, allumant les visages, détraquant les gestes ; tandis que les bookmakers, perchés sur leurs voitures, criaient des cotes, inscrivaient des chiffres, furieusement. Il n’y avait là que le fretin des parieurs, les forts paris se faisaient dans l’enceinte du pesage ; et c’était une âpreté des petites bourses risquant cent sous, toutes les convoitises étalées pour un gain possible de quelques louis. En somme, la grande bataille se livrait entre Spirit et Lusignan. Des Anglais, reconnaissables, se promenaient parmi les groupes, comme chez eux, la face enflammée, triomphant déjà. Bramah, un cheval de lord Reading, avait gagné le Grand Prix, l’année précédente : défaite dont les cœurs saignaient encore. Cette année, ce serait un désastre, si la France était battue de nouveau. Aussi toutes ces dames se passionnaient-elles, par orgueil national. L’écurie Vandeuvres devenait le rempart de notre honneur, on poussait Lusignan, on le défendait, on l’acclamait. Gaga, Blanche, Caroline et les autres pariaient pour Lusignan. Lucy Stewart s’abstenait, à cause de son fils ; mais le bruit courait que Rose Mignon avait donné commission à Labordette pour deux cents louis. Seule, la Tricon, assise près de son cocher, attendait la dernière minute ; très froide au milieu des querelles, dominant le tapage croissant où les noms des chevaux revenaient, dans des phrases vives de Parisiens, mêlées aux exclamations gutturales des Anglais, elle écoutait, elle prenait des notes, d’un air de majesté.

— Et Nana ? dit Georges. Personne n’en demande ?