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NANA

voudra, elle lui trouvera une héritière en province.

Nana se taisait. Elle venait d’apercevoir, au plus épais des équipages, la Tricon. Arrivée dans un fiacre, d’où elle ne voyait rien, la Tricon était tranquillement montée sur le siège du cocher. Et, là haut, redressant sa grande taille, avec sa figure noble aux longues anglaises, elle dominait la foule, elle semblait régner sur son peuple de femmes. Toutes lui souriaient, discrètement. Elle, supérieure, affectait de ne pas les connaître. Elle n’était pas là pour travailler, elle suivait les courses par plaisir, joueuse enragée, ayant la passion des chevaux.

— Tiens ! cet idiot de la Faloise ! dit Georges tout à coup.

Ce fut un étonnement. Nana ne reconnaissait plus son la Faloise. Depuis qu’il avait hérité, il était devenu d’un chic extraordinaire. Le col brisé, vêtu d’une étoffe de couleur tendre qui collait à ses maigres épaules, coiffé de petits bandeaux, il affectait un dandinement de lassitude, une voix molle, avec des mots d’argot, des phrases qu’il ne se donnait pas la peine de finir.

— Mais il est très bien ! déclara Nana, séduite.

Gaga et Clarisse avaient appelé la Faloise, se jetant à sa tête, tâchant de le reprendre. Il les quitta tout de suite, avec un déhanchement de blague et de dédain. Nana l’éblouit, il accourut, se tint sur le marche-pied de la voiture ; et, comme elle le plaisantait au sujet de Gaga, il murmura :

— Ah ! non, fini, la vieille garde ! Faut plus me la faire ! Et puis, vous savez, c’est vous, maintenant, ma Juliette…

Il avait mis la main sur son cœur. Nana riait beaucoup de cette déclaration si brusque, en plein air. Mais elle reprit :