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LES ROUGON-MACQUART

Labordette, très pressé, repartait ; mais elle le rappela. Elle voulait un conseil. Lui, qui gardait des relations dans le monde des entraîneurs et des jockeys, avait des renseignements particuliers sur les écuries. Vingt fois déjà ses pronostics s’étaient réalisés. Le roi des tipsters, comme on le nommait.

— Voyons, quels chevaux dois-je prendre ! répétait la jeune femme. À combien est l’Anglais ?

— Spirit ? à trois… Valerio II, à trois également… Puis, tous les autres, Cosinus à vingt-cinq, Hasard à quarante, Boum à trente, Pichenette à trente-cinq, Frangipane à dix…

— Non, je ne parie pas pour l’Anglais, moi. Je suis patriote… Hein ? peut-être Valerio II ; le duc de Corbreuse avait l’air rayonnant tout à l’heure… Eh ! non ! après tout. Cinquante louis sur Lusignan, qu’en dis-tu ?

Labordette la regardait d’un air singulier. Elle se pencha, elle l’interrogea à voix basse, car elle savait que Vandeuvres le chargeait de prendre pour lui aux bookmakers, afin de parier plus à l’aise. S’il avait appris quelque chose, il pouvait bien le dire. Mais Labordette, sans s’expliquer, la décida à s’en remettre à son flair ; il placerait ses cinquante louis comme il l’entendrait, et elle ne s’en repentirait pas.

— Tous les chevaux que tu voudras ! cria-t-elle gaiement, en le laissant aller ; mais pas de Nana, c’est une rosse !

Ce fut un accès de fou rire dans la voiture. Les jeunes gens trouvaient le mot très drôle ; tandis que Louiset, sans comprendre, levait ses yeux pâles vers sa mère, dont les éclats de voix le surprenaient. Labordette, d’ailleurs, ne put encore s’échapper. Rose Mignon lui avait fait un signe ; et elle lui don-