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LES ROUGON-MACQUART

chien, et un toupet, les hommes conduits comme des bêtes, de grands personnages pleurant dans son escalier ! À présent, elle se soûlait, les femmes du quartier, pour rire un peu, lui faisaient boire de l’absinthe ; puis, sur les trottoirs, les galopins la poursuivaient à coups de pierres. Enfin, une vraie dégringolade, une reine tombée dans la crotte ! Nana écoutait, toute froide.

— Tu vas voir, ajouta Satin.

Elle siffla comme un homme. La chiffonnière, qui se trouvait sous la fenêtre, leva la tête et se montra, à la lueur jaune de sa lanterne. C’était, dans ce paquet de haillons, sous un foulard en loques, une face bleuie, couturée, avec le trou édenté de la bouche et les meurtrissures enflammées des yeux. Et, Nana, devant cette vieillesse affreuse de fille noyée dans le vin, eut un brusque souvenir, vit passer au fond des ténèbres la vision de Chamont, cette Irma d’Anglars, cette ancienne roulure comblée d’ans et d’honneurs, montant le perron de son château au milieu d’un village prosterné. Alors, comme Satin sifflait encore, riant de la vieille qui ne la voyait pas :

— Finis donc, les sergents de ville ! murmura-t-elle d’une voix changée. Rentrons vite, mon chat.

Les pas cadencés revenaient. Elles fermèrent la fenêtre. En se retournant, Nana, grelottante, les cheveux mouillés, resta un instant saisie devant son salon, comme si elle avait oublié et qu’elle fût rentrée dans un endroit inconnu. Elle retrouvait là un air si tiède, si parfumé, qu’elle en éprouvait une surprise heureuse. Les richesses entassées, les meubles anciens, les étoffes de soie et d’or, les ivoires, les bronzes, dormaient dans la lumière rose des lampes ; tandis que, de tout l’hôtel muet, montait la sensation pleine d’un grand luxe, la solennité des salons