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LES ROUGON-MACQUART

pes ; mais lui, désespéré, refusa brutalement, puis disparut au milieu de la foule, avec des larmes de désir et d’impuissance dans les yeux. Des spectateurs allumaient des cigares, s’éloignaient en fredonnant : « Lorsque Vénus rôde le soir… ». Satin était remontée devant le café des Variétés, où Auguste lui laissait manger le reste de sucre des consommations. Un gros homme, qui sortait très échauffé, l’emmena enfin, dans l’ombre du boulevard peu à peu endormi.

Pourtant, du monde descendait toujours. La Faloise attendait Clarisse. Fauchery avait promis de prendre Lucy Stewart, avec Caroline Héquet et sa mère. Elles arrivaient, elles occupaient tout un coin du vestibule, riant très haut, lorsque les Muffat passèrent, l’air glacial. Bordenave, justement, venait de pousser une petite porte et obtenait de Fauchery la promesse formelle d’une chronique. Il était en sueur, un coup de soleil sur la face, comme grisé par le succès.

— En voilà pour deux cents représentations, lui dit obligeamment la Faloise. Paris entier va défiler à votre théâtre.

Mais Bordenave, se fâchant, montrant d’un mouvement brusque du menton le public qui emplissait le vestibule, cette cohue d’hommes aux lèvres sèches, aux yeux ardents, tout brûlants encore de la possession de Nana, cria avec violence :

— Dis donc à mon bordel, bougre d’entêté !