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LES ROUGON-MACQUART

revint, avec une soumission câline, voulant savoir.

— Alors, mon frère… ?

— Ton frère a vu tout de suite où il était… Tu comprends, j’aurais pu être une fille, et dans ce cas son intervention s’expliquait, à cause de ton âge et de l’honneur de ta famille. Oh ! moi, je comprends ces sentiments… Mais un coup d’œil lui a suffi, il s’est conduit en homme du monde… Ainsi, ne t’inquiète plus, tout est fini, il va tranquilliser ta maman.

Et elle continua avec un rire :

— D’ailleurs, tu verras ton frère ici… Je l’ai invité, il reviendra.

— Ah ! il reviendra, dit le petit en pâlissant.

Il n’ajouta rien, on ne causa plus de Philippe. Elle s’habillait pour sortir, et il la regardait de ses grands yeux tristes. Sans doute il était bien content que les choses se fussent arrangées, car il aurait préféré la mort à une rupture ; mais, au fond de lui, il y avait une angoisse sourde, une douleur profonde, qu’il ne connaissait pas et dont il n’osait parler. Jamais il ne sut de quelle façon Philippe rassura leur mère. Trois jours plus tard, elle retournait aux Fondettes, l’air satisfait. Le soir même, chez Nana, il tressaillit, lorsque François annonça le lieutenant. Celui-ci, gaiement, plaisanta, le traita en galopin dont il avait favorisé une escapade, qui ne tirait pas à conséquence. Lui, restait le cœur serré, n’osant plus bouger, ayant des rougeurs de fille, aux moindres mots. Il avait peu vécu dans la camaraderie de Philippe, son aîné de dix ans ; il le redoutait à l’égal d’un père, auquel on cache les histoires de femme. Aussi éprouvait-il une honte pleine de malaise, en le voyant si libre près de Nana, riant très haut, lâché dans le plaisir, avec sa belle santé. Cependant, comme son frère se présenta bientôt tous les jours, Georges