Page:Zola - Nana.djvu/343

Cette page a été validée par deux contributeurs.
343
NANA

nière. D’autre part il s’agissait d’installer les écuries. Alors, Labordette se rendit fort utile, en se chargeant des courses qui ennuyaient le comte. Il maquignonna l’achat des chevaux, il courut les carrossiers, guida les choix de la jeune femme, qu’on rencontrait à son bras chez les fournisseurs. Même Labordette amena les domestiques : Charles, un grand gaillard de cocher, qui sortait de chez le duc de Corbreuse ; Julien, un petit maître d’hôtel tout frisé, l’air souriant ; et un ménage, dont la femme, Victorine, était cuisinière, et dont l’homme, François, fut pris comme concierge et valet de pied. Ce dernier, en culotte courte, poudré, portant la livrée de Nana, bleu clair et galon d’argent, recevait les visiteurs dans le vestibule. C’était d’une tenue et d’une correction princières.

Dès le second mois, la maison fut montée. Le train dépassait trois cent mille francs. Il y avait huit chevaux dans les écuries, et cinq voitures dans les remises, dont un landau garni d’argent, qui occupa un instant tout Paris. Et Nana, au milieu de cette fortune, se casait, faisait son trou. Elle avait quitté le théâtre, dès la troisième représentation de la Petite Duchesse, laissant Bordenave se débattre sous une menace de faillite, malgré l’argent du comte. Pourtant, elle gardait une amertume de son insuccès. Cela s’ajoutait à la leçon de Fontan, une saleté dont elle rendait tous les hommes responsables. Aussi, maintenant, se disait-elle très forte, à l’épreuve des toquades. Mais les idées de vengeance ne tenaient guère, avec sa cervelle d’oiseau. Ce qui demeurait, en dehors des heures de colère, était, chez elle, un appétit de dépense toujours éveillé, un dédain naturel de l’homme qui payait, un continuel caprice de mangeuse et de gâcheuse, fière de la ruine de ses amants.