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LES ROUGON-MACQUART

— Tiens ! oui, c’est un coquetier, répéta le comte.

— Excusez, vous vous êtes empli de poussière, continua le directeur en replaçant l’objet sur une planche. Vous comprenez, s’il fallait épousseter tous les jours, on n’en finirait plus… Aussi n’est-ce guère propre. Hein ? quel fouillis !… Eh bien ! vous me croirez si vous voulez, il y en a encore pour de l’argent. Regardez, regardez tout ça.

Il promena Muffat devant les casiers, dans le jour verdâtre qui venait de la cour, lui nommant des ustensiles, voulant l’intéresser à son inventaire de chiffonnier, comme il disait en riant. Puis, d’un ton léger, quand ils furent revenus près de Fauchery :

— Écoutez, puisque nous sommes tous d’accord, nous allons terminer cette affaire… Justement, voilà Mignon.

Depuis un instant, Mignon rôdait dans le couloir. Aux premiers mots de Bordenave, parlant de modifier leur traité, il s’emporta ; c’était une infamie, on voulait briser l’avenir de sa femme, il plaiderait. Cependant, Bordenave, très calme, donnait des raisons : le rôle ne lui semblait pas digne de Rose, il préférait la garder pour une opérette qui passerait après la Petite Duchesse. Mais, comme le mari criait toujours, il offrit brusquement de résilier, parlant des offres faites à la chanteuse par les Folies-Dramatiques. Alors, Mignon, un moment démonté, sans nier ces offres, afficha un grand dédain de l’argent ; on avait engagé sa femme pour jouer la duchesse Hélène, elle la jouerait, quand il devrait, lui, Mignon, y perdre sa fortune ; c’était affaire de dignité, d’honneur. Engagée sur ce terrain, la discussion fut interminable. Le directeur en revenait toujours à ce raisonnement : puisque les Folies offraient trois cents francs par soirée à Rose pendant cent représentations, lors-