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LES ROUGON-MACQUART

de Prullière, sans perdre de vue le comte Muffat, dont il avait guetté le retour.

Le comte, dans cette obscurité où il rentrait, s’était arrêté au fond de la scène, hésitant à tomber dans la querelle. Mais Bordenave l’aperçut et se précipita.

— Hein ? quel monde ! murmura-t-il. Vous ne vous imaginez pas, monsieur le comte, le mal que j’ai avec ce monde-là. Tous plus vaniteux les uns que les autres ; et carotteurs avec ça, mauvais comme la gale, toujours dans de sales histoires, ravis si je me cassais les reins… Pardon, je m’emporte.

Il se tut, un silence régna. Muffat cherchait une transition. Mais il ne trouva rien, il finit par dire carrément, pour en sortir plus vite :

— Nana veut le rôle de la duchesse.

Bordenave eut un soubresaut, en criant :

— Allons donc ! c’est fou !

Puis, comme il regardait le comte, il le trouva si pâle, si bouleversé, qu’il se calma aussitôt.

— Diable ! dit-il simplement.

Et le silence recommença. Au fond, lui, s’en moquait. Ce serait peut-être drôle, cette grosse Nana dans le rôle de la duchesse. D’ailleurs, avec cette histoire, il tenait Muffat solidement. Aussi sa décision fut-elle bientôt prise. Il se tourna et appela :

— Fauchery !

Le comte avait eu un geste pour l’arrêter. Fauchery n’entendait pas. Poussé contre le manteau d’arlequin par Fontan, il devait subir des explications sur la façon dont le comédien comprenait Tardiveau. Fontan voyait Tardiveau en Marseillais, avec de l’accent ; et il imitait l’accent. Des répliques entières y passaient ; était-ce bien ainsi ? Il ne semblait que soumettre des idées, dont il doutait lui-même. Mais Fau-