Page:Zola - Nana.djvu/329

Cette page a été validée par deux contributeurs.
329
NANA

la tête bourdonnante. Qu’allait-il dire ? de quelle façon entamerait-il cette affaire qui ne le regardait pas ? Il arrivait sur la scène, lorsqu’il entendit une querelle. On achevait le second acte, Prullière s’emportait, Fauchery ayant voulu couper une de ses répliques.

— Coupez tout alors, criait-il, j’aime mieux ça !… Comment ! je n’ai pas deux cents lignes, et on m’en coupe encore !… Non, j’en ai assez, je rends le rôle.

Il sortit de sa poche un petit cahier froissé, le tourna dans ses mains fiévreuses, en faisant mine de le jeter sur les genoux de Cossard. Sa vanité souffrante convulsait sa face blême, les lèvres amincies, les yeux enflammés, sans qu’il pût cacher cette révolution intérieure. Lui, Prullière, l’idole du public, jouer un rôle de deux cents lignes !

— Pourquoi pas me faire apporter des lettres sur un plateau ? reprit-il avec amertume.

— Voyons, Prullière, soyez gentil, dit Bordenave qui le ménageait, à cause de son action sur les loges. Ne commencez pas vos histoires… On vous trouvera des effets. N’est-ce pas ? Fauchery, vous ajouterez des effets… Au troisième acte, on pourrait même allonger une scène.

— Alors, déclara le comédien, je veux le mot du baisser du rideau… On me doit bien ça.

Fauchery eut l’air de consentir par son silence, et Prullière remit le rôle dans sa poche, secoué encore, mécontent quand même. Bosc et Fontan, durant l’explication, avaient pris une mine de profonde indifférence : chacun pour soi, ça ne les regardait pas, ils se désintéressaient. Et tous les acteurs entourèrent Fauchery, le questionnant, quêtant des éloges, pendant que Mignon écoutait les dernières plaintes