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NANA

Pourtant, Bosc arrivait paisiblement ; la répétition recommença, au moment où Labordette emmenait le comte. Celui-ci était tremblant, à l’idée de revoir Nana. Après leur rupture, il avait éprouvé un grand vide, il s’était laissé conduire chez Rose, désœuvré, croyant souffrir du dérangement de ses habitudes. D’ailleurs, dans l’étourdissement où il vivait, il voulut tout ignorer, se défendant de chercher Nana, fuyant une explication avec la comtesse. Il lui semblait devoir cet oubli à sa dignité. Mais un sourd travail s’opérait, et Nana le reconquérait lentement, par les souvenirs, par les lâchetés de sa chair, par des sentiments nouveaux, exclusifs, attendris, presque paternels. La scène abominable s’effaçait ; il ne voyait plus Fontan, il n’entendait plus Nana le jeter dehors, en le souffletant de l’adultère de sa femme. Tout cela, c’étaient des mots qui s’envolaient ; tandis qu’il lui restait au cœur une étreinte poignante, dont la douceur le serrait toujours plus fort, jusqu’à l’étouffer. Des naïvetés lui venaient, il s’accusait, s’imaginant qu’elle ne l’aurait pas trahi, s’il l’avait aimée réellement. Son angoisse devint intolérable, il fut très malheureux. C’était comme la cuisson d’une blessure ancienne, non plus ce désir aveugle et immédiat, s’accommodant de tout, mais une passion jalouse de cette femme, un besoin d’elle seule, de ses cheveux, de sa bouche, de son corps qui le hantait. Lorsqu’il se rappelait le son de sa voix, un frisson courait ses membres. Il la désirait avec des exigences d’avare et d’infinies délicatesses. Et cet amour l’avait envahi si douloureusement, que, dès les premiers mots de Labordette maquignonnant un rendez-vous, il s’était jeté dans ses bras, d’un mouvement irrésistible, honteux ensuite d’un abandon si ridicule chez un homme de son rang. Mais Labordette savait tout voir. Il donna en-