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NANA

les mains derrière le dos, couvant des yeux sa femme, qui paraissait nerveuse.

— Eh bien ! montons-nous ? demanda Labordette à Nana. Je t’installe dans la loge, et je redescends le prendre.

Nana quitta tout de suite la baignoire. Elle dut suivre à tâtons le couloir des fauteuils d’orchestre. Mais Bordenave la devina, comme elle filait dans l’ombre, et il la rattrapa au bout du corridor qui passait derrière la scène, un étroit boyau où le gaz brûlait nuit et jour. Là, pour brusquer l’affaire, il s’emballa sur le rôle de la cocotte.

— Hein ? quel rôle ! quel chien ! C’est fait pour toi… Viens répéter demain.

Nana restait froide. Elle voulait connaître le troisième acte.

— Oh ! superbe, le troisième !… La duchesse fait la cocotte chez elle, ce qui dégoûte Beaurivage et le corrige. Avec ça, un quiproquo très drôle, Tardiveau arrivant et se croyant chez une danseuse…

— Et Géraldine là dedans ? interrompit Nana.

— Géraldine ? répéta Bordenave un peu gêné. Elle a une scène, pas longue, mais très réussie… C’est fait pour toi, je te dis ! Signes-tu ?

Elle le regardait fixement. Enfin, elle répondit :

— Tout à l’heure, nous verrons ça.

Et elle rejoignit Labordette qui l’attendait dans l’escalier. Tout le théâtre l’avait reconnue. On chuchotait, Prullière scandalisé de cette rentrée, Clarisse très inquiète pour le rôle. Quant à Fontan, il jouait l’indifférence, l’air froid, car ce n’était pas à lui de taper sur une femme qu’il avait aimée ; au fond, dans son ancienne toquade tournée à la haine, il lui gardait une rancune féroce de ses dévouements, de sa beauté, de cette vie à deux dont il n’avait plus