Page:Zola - Nana.djvu/313

Cette page a été validée par deux contributeurs.
313
NANA

Il s’interrompit, il cria à Cossard, dans le feu de ses explications :

— Géraldine, donnez le baiser… Fort ! pour qu’on entende bien !

Le père Cossard, se tournant vers Bosc, fit claquer vigoureusement les lèvres.

— Bon ! voilà le baiser, dit Fauchery triomphant. Encore une fois, le baiser… Vois-tu, Rose, j’ai eu le temps de passer, et je jette alors un léger cri : « Ah ! elle l’a embrassé. » Mais, pour cela, il faut que Tardiveau remonte… Entendez-vous, Fontan, vous remontez… Allons, essayez ça, et de l’ensemble.

Les acteurs reprirent la scène ; mais Fontan y mettait une telle mauvaise volonté, que ça ne marcha pas du tout. À deux reprises, Fauchery dut revenir sur ses indications, mimant chaque fois avec plus de chaleur. Tous l’écoutaient d’un air morne, se regardaient un instant comme s’il leur eut demandé de marcher la tête en bas, puis gauchement essayaient, pour s’arrêter aussitôt, avec des rigidités de pantins dont on vient de casser les fils.

— Non, c’est trop fort pour moi, je ne comprends pas, finit par dire Fontan, de sa voix insolente.

Bordenave n’avait pas desserré les lèvres. Glissé complètement au fond de son fauteuil, il ne montrait plus, dans la lueur louche de la servante, que le haut de son chapeau, rabattu sur ses yeux, tandis que sa canne, abandonnée, lui barrait le ventre ; et l’on aurait pu croire qu’il dormait. Brusquement, il se redressa.

— Mon petit, c’est idiot, déclara-t-il à Fauchey, d’un air tranquille.

— Comment ! idiot ! s’écria l’auteur devenu très pâle. Idiot vous-même, mon cher !

Du coup, Bordenave commença à se fâcher. Il ré-