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LES ROUGON-MACQUART

une pièce de Fauchery, où il y avait un rôle superbe pour elle.

— Comment ! une pièce où il y a un rôle ! s’écria-t-elle, stupéfaite, mais il en est et il ne m’a rien dit !

Elle ne nommait pas Fontan. D’ailleurs, elle se calma tout de suite. Jamais elle ne rentrerait au théâtre. Sans doute Labordette n’était pas convaincu, car il insistait avec un sourire.

— Tu sais qu’on n’a rien à craindre avec moi. Je prépare ton Muffat, tu rentres au théâtre, et je te l’amène par la patte.

— Non ! dit-elle énergiquement.

Et elle le quitta. Son héroïsme l’attendrissait sur elle-même. Ce n’était pas un mufe d’homme qui se serait sacrifié comme ça, sans le trompeter. Pourtant, une chose la frappait : Labordette venait de lui donner exactement les mêmes conseils que Francis. Le soir, lorsque Fontan rentra, elle le questionna sur la pièce de Fauchery. Lui, depuis deux mois, avait fait sa rentrée aux Variétés. Pourquoi ne lui avait-il pas parlé du rôle ?

— Quel rôle ? dit-il de sa voix mauvaise. Ce n’est pas le rôle de la grande dame peut-être ?… Ah çà, tu te crois donc du talent ! Mais ce rôle-là, ma fille, t’écraserait… Vrai, tu es comique !

Elle fut horriblement blessée. Toute la soirée, il la blagua, en l’appelant mademoiselle Mars. Et plus il tapait sur elle, plus elle tenait bon, goûtant une jouissance amère dans cet héroïsme de sa toquade, qui la rendait très grande et très amoureuse à ses propres yeux. Depuis qu’elle allait avec d’autres pour le nourrir, elle l’aimait davantage, de toute la fatigue et de tous les dégoûts qu’elle rapportait. Il devenait son vice, qu’elle payait, son besoin, dont elle